Le silence se fit
entendre une troisième fois mais rapidement, une lueur bleue
s'intensifia de plus en plus tout autour d'elle à travers les
arbres. Bientôt apparut devant elle de manière gracieuse un loup
nimbé d'un halo blanc, suivi de près d'un aigle brillant d'or et
enfin, plus tardivement mais autrement plus majestueusement, une bête
fabuleuse que Myelanyl n'avait jamais vu auparavant. C'est cet
étrange animal qui diffusait cette lumière bleue magique. On aurait
dit tantôt un cerf, tantôt un être humain. Ou alors un cheval
ressemblant à un dragon. Il était difficile de déterminer
précisément sa nature comme si elle était en perpétuelle
évolution.
Dans un langage
compréhensible de la jeune femme, la créature prit la parole :
_ Nous avons entendu ta
détresse et avons décidé de te venir en aide. Mais sache que nous
apparaissons rarement aux être humains. Par conséquent, lorsque ton
enfant aura atteint l'âge de se débrouiller seul, tu nous
rejoindras et deviendra l'une d'entre nous en qualité nouvelle de
sorcière que nous t'enseignerons. Tu vivras plus longtemps que la
plupart des Hommes, tu seras parfois détestée ou admirée.
Toujours, tu seras crainte. Mais jamais, tu ne parleras de nous car
tu signerais notre déclin. Tu seras le lien entre la nature et
l'Homme et dans la discrétion, tu œuvreras à l'harmonie qui fait
la vie. Maintenant, va, ton souhait a été exaucé.
L'aigle s'envola trouant
le faîte des arbres et projetant une rare lumière solaire sur le
visage de Myelanyl. Le loup décrivit un large cercle autour de la
sorcière et s'évanouit dans la forêt. La créature, quant à elle,
la quitta à reculons et la lumière disparut dans les profondeurs de
l'inconnu.
Un mois plus tard,
Myelanyl accoucha dans la pénombre de la cabane d'un garçon qu'elle
nomma Lodmar. Brurmikk se désintéressa complètement de ce
nourrisson. A mesure qu'il grandissait, il posa à peine le regard
sur son fils qui apprit très tôt à se méfier de ce père qui le
frappait à l'occasion et sans raisons.
Myelanyl n'eut plus
jamais peur. Même battue, violée, son sort ne l'atteignait plus.
Elle passait ses journées avec son fils à qui elle enseignait tout
ce qu'elle savait. L'enfant prit plaisir à grimper dans les arbres
et à y construire des cabanes dans lesquelles il pouvait rester des
heures et même y dormir toute la nuit. Malgré toute l'affection
qu'il avait pour sa mère, Lodmar était sauvage. Passé sa dixième
année, il ne cessait d'affronter Brurmikk qui devient à son égard
de plus en plus violent. Lodmar gagnait en espièglerie et en cruauté
et s'il n'était qu'amour envers sa mère, il rêvait de terrasser
son père.
A l'anniversaire de ses
quinze ans, il venait d'inaugurer un pont de singe qu'il avait dressé
entre deux cabanes. Il aperçut sa mère s'éloigner furtivement de
la clairière au lac. Intrigué, il la suivit d'arbre en arbre et
s'arrêta dans celui-même au pied duquel Myelanyl scella son destin
de sorcière. Caché aux yeux de sa mère, Lodmar ne l'était
pourtant pas aux yeux des créatures de la forêt. Tandis que le cerf
s'entretenait avec Myelanyl, l'aigle s'envola promptement et de ses
serres agrippa Lodmar et le fit chuter au sol près de la sorcière.
Myelanyl en sursauta de stupeur mais avant qu'elle ne puisse dire
quoi que ce soit, le cerf s'exprima :
_ Ton fils t'a suivi, il
est le fruit de la brutalité et de l'amour. Pendant cinq ans, tu
seras formée à la sorcellerie et de toi seule dépendra ta pureté.
Ton fils oscillera entre la folie des Hommes et la sagesse qui les
mènera à l'éternité. Oublie ne serait-ce qu'un instant ton rôle
de sorcière et ton fils penchera un peu plus vers la folie. Sois
exemplaire et Lodmar sera à même de maîtriser son propre destin.
Mais nul ne pourra prédire s'il choisira en définitive l'ombre ou
la lumière.
Puis, le cerf se tourna
vers Lodmar qui était à moitié couché et impressionné :
_ Lodmar, tu portes un
lourd fardeau et tu seras bientôt mis à l'épreuve. Va, retourne
chez toi et décide du destin des Hommes.
Mère et fils partirent
ainsi dans deux directions opposées. Lodmar se trouvait désemparé,
se demandant ce qu'on attendait de lui. Attendait-on seulement
quelque-chose de lui ? Plusieurs mois durant, il vécut seul
avec Brurmikk qui ne posa même pas de questions sur l'absence de
Myelanyl. Il ne leva même plus la main, laissant son fils encore
plus seul.
Un jour, un homme vêtu
d'une armure et d'un casque, tenant son épée à la main et son
bouclier dans l'autre, déboucha dans la clairière. Ne sentant pas
de danger autour de lui, il retira son heaume et s'abreuva au lac. Il
se reposait depuis dix minutes lorsqu'il vit de l'autre côté de
l'eau, une splendide jeune femme qui l'observait. Son cœur battit la
chamade, émerveillé. Il ne pensa même pas à récupérer son arme.
Les yeux écarquillés, il parvint à balbutier :
_ Qui es-tu ?
La jeune femme,
resplendissante dans sa robe, lui répondit par un sourire qui
illumina son visage.
_ Je m'appelle Lodmaël.